lundi 25 janvier 2010

La Toile de Piu

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Friendly Customer a toujours été cinéphile mais clairement amateur, n'ayant pas pour intention de parler d'un tel sujet sans en connaître l'essence, nous confions cette lourde tache a un ami de longue date ayant les épaules pour parler toile. c'est donc maintenant mensuellement que l'amicale Adrien nous fournira ses services, et ça commence tout de suite, avec une perle noire de l'humour cynique schizo-belge.

C’est arrivé près de chez vous


Réalisateur : Rémy Belvaux, André Bonzel, Benoît Poelvoorde

Une équipe de télévision suit Ben, un serial killer, dans son quotidien. Un sérial killer complètement à côté de la plaque qui philosophe sur l’architecture moderne, les vieux et les spectacles de Robert Hossein.

La Belgique a signé il y a 18 ans cette farce violente, irrévérencieuse, dopé à l'humour noir jusqu'à l'indignation mais fatalement drôle car original dès le départ. « C’est arrivé près de chez vous » nous fourni une vraie satire sociale du monde qui nous entoure et notamment des médias. Une société, la notre, intrinsèquement violente, centrée sur l'argent, où on ne prend vraiment conscience du malheur que lorsqu'il nous touche directement, où les individus ne se rencontrent que pour se nuire, où les médias et donc l'opinion publique est de plus en plus fasciné par le morbide le plus primaire... ce film explique pourquoi les gens ralentissent quand ils passent à coté d'un accident. En choisissant de montrer l'horreur absolue, ce film montre notre réalité pour nous choquer et nous réveiller! L’audace de cette entreprise mérite d’être souligné. Il y à une intensité et une profondeur alliées à un sens aigu de l’humour, caustique et drôle. Une comédie alerte et grinçante qui carbure au cynisme. Véritable réflexion sur la violence et la fascination qu’elle peut engendrer chez l’être humain. Considéré à sa sortie comme une blague d'étudiants épris de violence et d'humour noir, le film devenu "culte" peut être vu rétrospectivement comme une double fable. D'un côté, il évoque dans ses dialogues le racisme latent, le conformisme et les idées reçues d'une société wallonne qui doute profondément d'elle-même ("on mange les moules à la mer", les Africains ont de "grosses proportions", etc...). De l'autre, il livre une profonde réflexion sur les médias et le traitement de l'information. Les personnes qui font le reportage sont de plus en plus impliquées dans l'action de celui qu'elles filment au point de devenir complices de ses meurtres et de son viol. La question posée par "C'est arrivé près de vous" est la suivante : Est-ce qu'il y a des journalistes parce qu'il se passe quelque chose ou est-ce qu'il se passe quelque chose parce qu'il y a des journalistes? L'invasion de la télé-réalité, encore embryonnaire au moment de la sortie du film, révèle aujourd'hui la portée prophétique de ce classique.

Chaque scène est un bijou d'humour noir et de beaufitude truculent, avec un personnage déjanté ayant un avis sur tout, des préjugés éhontés et une tendance au lyrisme déroutante. On y retrouve le jeune Benoît Poelvoorde dans un rôle qu'il exécute à merveille. Il a un charme indescriptible, qui tient à son éloquence. Idéal en ordure sympathique. Il avance un tas d’arguments douteux en restant très charmant, on ne le déteste jamais. Les répliques sont d'anthologies: la prose sur les pigeons, le petit grégory, celle du gamin dans les bois est délicieusement immorale … Si le film a tant dérangé, c'est selon moi grâce à ce réalisme, la force du film reste la dérision, l’ironie mordante que les réalisateurs du film portent sur la société dans laquelle ils vivent et qu’ils rendent responsables des actes abominables dont ils sont les auteurs. Le film marque d’autant plus que de longs dialogues surréalistes sont interrompus par des scènes de meurtres très violentes avec un son parfois très strident. L’humour noir est ici très ravageur, parfois de mauvais goût mais qui touche souvent leur but.

Le tournage est construit à la manière d'un documentaire amateur qui accentue le malaise. La caméra porté est ici justifié. Tout le film est vu à partir de cet unique œil, qui tourne en noir et blanc. Le cocktail est détonnant: on s'immerge dans l'histoire jusqu'à se prendre pour l'un des membres de l'équipe de journaliste. Un film "brute", sans retouche d'image, sans bande son, essentiellement tourné caméra à l'épaule, poussant le réalisme jusqu'à ce que lorsque le perchiste s'éloigne de la caméra, il emporte avec lui le micro et le son qu'il enregistre. Du coup on se sent immergé, et on pourrait ce laisser croire que ce genre de tueur psychopathe pourrait exister n'importe où dans la nature. Maîtrisée, cette satire incisive pousse les comportements jusqu'à l’absurde. Et le pire c’est qu’on en redemande. Faim insatiable du voyeurisme. Avec une économie de moyens qui va jusqu'à l'épure totale, Belvaux réalise un film effroyable pour les uns, jubilatoire pour les autres. Rarement le sadisme est allé aussi loin, sadisme d'autant plus prenant que le réalisme règne en maître et que les personnages affichent un stoïcisme et une normalité psychologique et intellectuelle permanents. Ce film est une punition, traumatisante, mais nécessaire, qui nous fait retomber sur terre, et qui nous calme! On prend conscience que l'on banalise trop la violence à l'écran.On atteint ici sans doute des sommets en matière de terreur psychologique et de malsain, et c’est cela sans doute qui fait à la fois la force et la faiblesse du film . « C’est arrivé près de chez vous », à juste titre récompensé à Cannes en 1992, aura marqué le cinéma, preuve s'il en est qu'il n'est pas besoin d'avoir un budget monstre pour faire un film culte. Un chef-d'œuvre ahurissant qui dérange et provoque des réactions diamétralement opposées. Une question restera: de quel côté va-t-on se placer? Victimes ou bourreaux par pur plaisir ludique/sadique ?


Friendly Yours
Piu.A

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